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Appréhender l'information dans une société connectée

  • ghebalilaura
  • 31 août 2016
  • 28 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 févr.

Ecrit et publié pour l'Afnor.


Laura GhebaliConsultante chez Be Angels et doctorante chercheuse au CNAM sous la direction de Cécile Dejoux, Laura Ghebali est experte sur les réseaux sociaux et les problématiques de contenu numérique. Elle intervient régulièrement dans des conférences sur les thématiques de la transformation numérique et son impact sur les entreprises et enseigne dans différentes écoles (EDHEC, CNAM, ESSCA, La Sorbonne) dans lesquelles elle développe des nouveaux formats pédagogiques innovants.


Le développement des nouvelles technologies d’information et de communication a plongé les populations dans un véritable océan d’information. De manière continue et instantanée, l’information arrive jusqu’au consommateur sur différents supports (mobile, ordinateur, tablette) tandis que les formes de contenu se diversifient (articles, photos, vidéos, GIF). L’internaute consomme l’information, la repartage, et devient un producteur de contenu actif, dans une économie collaborative ou chaque voix à son poids. Et c’est précisément dans ce contexte de surabondance d’information que l’internaute est devenu d’autant plus exigeant. L’avènement du web et des moteurs de recherche a ouvert et facilité l’accès à des milliards de contenus ; c’est à présent le contenu de qualité qui perdure dans la sphère web et attire l’œil de l’internaute averti. Mais comment les entreprises s’adaptent au basculement vers une société informationnelle ? Quelles sont les nouvelles capacités requises pour s’adapter à ce nouvel environnement et quels types de talents ont émergé ? Pour comprendre cette transformation, commençons par expliquer les caractéristiques de cette économie informationnelle.

1 L’économie informationnelle et son impact sur les entreprises


1.1 Qu’entend-on par économie informationnelle ?

De la production à la connaissance


C’est dans les années 1980 que l’économiste Paul Boccara fait référence pour la première fois au terme de révolution informationnelle. Pour faire comprendre ce basculement, l’auteur la distingue de la révolution industrielle analysée par Marx en soulignant trois points majeurs. Premièrement, cette révolution est basée sur des progrès technologiques majeurs et opérationnellement parlant, ces avancées ont permis aux travailleurs d’être remplacés par des machines dans une multitude de secteurs. Ce qui nous amène à la deuxième caractéristique de cette révolution : les forces de travail sont donc devenues plus disponibles pour se pencher sur d’autres types de tâches comme le traitement de l’information ou la communication entre les différents services d’une organisation. Ainsi, l’information a commencé a être traitée, sélectionnée, améliorée. Parallèlement, les technologiques de communication ont représenté un socle puissant pour diffuser la « nouvelle » information traitée. C’est d’ailleurs le propre de la société en réseau : elle décuple les possibilités de transmission et de circulation de l'information grâce à des systèmes de communication et d'organisations plus performants et opérationnels[1]. Ce dernier aspect constitue la 3ème caractéristique de la société informationnelle.


Finalement, dans l’ancienne ère, l’information était une donnée statique. Disponible sous certaines formes et sur des supports bien spécifiques, l’information en tant que telle cristallisait sa valeur en fonction de son auteur et du support dans lequel elle était transmise. La société informationnelle constitue une toute autre approche : dans celle ci, l’information prend de la valeur en fonction de son rythme de diffusion et de la contribution de l’homme à son amélioration. Cette économie affirme la montée en puissance de toutes les activités de création, de traitement et de transmission de l’information avec un recul proportionnel des tâches directement liées à la production. Pour résumer, l’économie informationnelle reflète le passage d’une économie de production à une économie du savoir qui re-centralise l’intelligence de l’homme au sein de tous les processus. Le véritable pouvoir n’est plus de produire de la matière mais de donner du sens à l’information par le traitement, l’échange ou la critique.



La recentralisation de l’humain


C’est là ou intervient tout le paradigme de l’ère des NTIC : un développement propulsif de technologies, certes, mais qui ont la particularité de lier les humains entre eux, et donc les pensées ! Dans cet environnement, l’internaute devient l’acteur principal. Il n’est plus un simple consommateur d’information mais contribue de manière collaborative à la création et la transmission de données sur la toile du web. Il participe à une société d’immédiateté en alimentant un niveau d’information en temps réel et navigue au travers des multiples outils à disposition. Dans ce contexte, le véritable talent est celui qui arrive à jongler entre son statut d’internaute et ses missions professionnelles car dans ce cas, il détient l’objectivité d’un client et la force de frappe d’une entreprise ! Le tout est de garder en tête la logique de l’internaute, en faisant rencontrer les objectifs de l’entreprise avec ses besoins. Mais cet environnement entretient un niveau de distraction important lié à l’habitude « multitâche » et surtout à la fonction même des nouvelles technologies d’information. Certains diront que cet environnement contribue à une augmentation de la productivité, d’autres soulignent ses limites en mettant en exergue le manque de concentration et de profondeur lié à cette distraction permanente, induite par les fonctionnalités de ces innovations. C’est la difficulté même de l’adaptation des entreprises à une économie informationnelle et une société en réseau.

1.2 L’écosystème organisationnel impacté

L’organisation interne

Car si l’entreprise est souvent représentée comme un microcosme de notre société, les révolutions décrites plus haut sont aussi observables au sein des organisations. Les évolutions et besoins d’adaptation des organisations trouvent un puissant levier dans les NTICs, qui ont transformé les règles diachroniques du business. C’est toute la chaîne de valeurs de l’entreprise qui se voit modifiée. Dans les postes à proprement parler (des fonctions marketing, en passant par les services IT, les ressources humaines et les fonctions commerciales) mais surtout dans l’organisation (processus interne, outils de communication et de collaboration, gestion des tâches quotidiennes).

L’information est à présent au centre de toutes les activités. Ergo, l’employé doit développer des compétences pour naviguer convenablement dans cette surabondance en recherchant l’information pertinente qui lui permet d’augmenter la qualité de son travail au quotidien, et sa productivité sur le long terme. Si son rôle n’est pas directement lié à la production d’information, il devra au minima savoir capitaliser sur les informations à sa disposition pour procéder à l’exécution des tâches de son métier. Localiser l’information et savoir en bénéficier deviennent des capacités fondamentales! Les informations en question peuvent être sectorielles, ou liées à de la veille concurrentielle… mais elles peuvent aussi concerner les individus à poste stratégique dans des entreprises clientes ou des prospects. De manière générale, nous assistons donc à une dématérialisation de la valeur tangible des entreprises au profit, par opposition, d’une croissance des ventes de services et d’information.

La logique d’interaction : une approche « client-centric »

Mais si l’information est plus facilement accessible et les manières de travailler facilitées par ces technologies, les acteurs des environnements business sont, comme les internautes, d’autant plus exigeants. L’économie informationnelle a accéléré le rythme globale des échanges : plus de contenu, mais aussi plus de besoins, plus d’exigence, plus de concurrence. L’organisation jadis maîtresse de sa stratégie et de sa communication est devenue totalement dépendante de la voix de son client. Et pour cause, les nouvelles technologies ont rendu le pouvoir aux clients. Il peut donner et diffuser hâtivement son avis sur les produits et services de la société, en s’occasionnant donc un pouvoir de déstabiliser des entreprises de toutes tailles par une simple diffusion de contenu sur les réseaux sociaux. C’est nommément le côté viral de cette technologie qui représente une menace conséquente pour les organisations. Non seulement le client détient un pouvoir important mais son possible mécontentement peut se matérialiser très rapidement en un rassemblement similaire à une ligue, qui peut nuire à la réputation d’une entreprise avant même qu’une cellule de crise ait eu le temps d’être mise en place en interne. Ce pouvoir du dialogue a pris tellement d’ampleur qu’on parle aujourd’hui de « conversations » pour parler de « marchés » ! Le pouvoir du client contraint les entreprises à être à son écoute et à adapter son développement en fonction de ses requêtes. Alors qu’une des compétences clés de l’entreprise traditionnelle s’avérait être le marketing pendant plusieurs décennies, le nouvel environnement numérique a fait prévaloir le dialogue et les capacités relationnelles des employés.

1.3 La valorisation d’un actif immatériel

La connaissance organisationnelle comme atout

Dans ce contexte d’hyper-compétitivité allié au développement des nouvelles technologies d’information et au bouleversement des organisations, nous assistons alors à l’émergence de la connaissance organisationnelle comme ressource clé pour l’entreprise. Mais une ressource un peu différente...Pourquoi ? Elle est avant tout tacite, et c’est ce qui fait sa particularité[2]. On ne peut pas la quantifier ni la modéliser de manière stricte. Aussi, cette connaissance évolue dans sa forme, en fonction des situations et des pratiques dans lesquelles elle est intégrée[3]. Par conséquent, la connaissance organisationnelle a la particularité de faire évoluer les modes d’organisation, puisqu’elle est liée à l’individu. Définir la connaissance organisationnelle revient alors à interroger le rapport de l’individu à l’organisation, au travers de sa pratique de travail. Pour tenter de définir ce concept, A.Dudezert[4] s’est hâtée à auditer une vingtaine de personnes de deux groupes industriels : Total et Areva. La pluralité des réponses a reflété la difficulté de définition de ce terme : certain la définissait comme une valeur ajoutée, d’autres un savoir-faire ou encore une pratique de travail. C’est singulièrement l’aspect de « valeur ajoutée » qu’il est important de retenir, car elle constitue le point d’attache entre l’information et la connaissance.

De la donnée à la connaissance

Avant d’expliciter cette transformation, penchons nous d’abord sur la définition du terme « information ». Si l’on reprend la définition du mémento de l’information, le plus simple pour définir une information est de l’examiner dans son contexte. Par conséquent, l’information brute (appelé donnée) se transforme en information, qui pourra à son tour évoluer vers une réelle connaissance après avoir fait parti d’un processus d’assimilation. Si cette information réutilisable, le modèle de Balmisse considère qu’elle a atteint le stade de « connaissance ».



Figure 1 : Des données aux connaissances –

Modèle hiérarchique de la connaissance (Balmisse, 2004)


C’est d’ailleurs cette structure donnée-information-connaissance qui est la base du web sémantique formalisé dans le langage « RDF ». De son côté, Yvon Pesqueux donne une définition similaire en liant l’information à la donnée par l’explication suivante: « L’information peut être définie comme un ensemble de données replacées dans un contexte et porteur d’un sens particulier ». Finalement, une information peut être interprétée différemment par chaque destinataire en fonction de l’environnement dans lequel il se situe. Ceci influençant les actions qui s’en suivent. Pour Pascal Petit, la notion d’information renvoie avant tout à tout ce qui fait partie de notre environnement et tout ce qui est perceptible et transmissible à autrui (P. Petit, 1998).


Les typologies d’information

Se distinguent alors deux manière de catégoriser l’information dans son contexte : les informations internes qui caractérisent les informations propres à l’organisation, puis les informations externes qui correspondent à l’environnement de l’entreprise plus ou moins éloigné (le marché, les acteurs, et plus généralement tout ce qui concerne l’extérieur de l’organisation). De manière dé-corrélée, il est également possible de distinguer l’information de « structurée » de l’information « non structurée ». L’utilisation générique du premier terme fait généralement référence aux données numériques. Les données non structurées, elles, s’opposent aux premières en faisant référence aux connaissances et savoir faire de l’organisation (Le Petit Robert). Le choix d’approche dépend principalement de l’objectif présent derrière le traitement de l’information.

Valoriser l’information dans un contexte d’hyper concurrence

Mais in fine, la gestion de l’information et de sa valorisation devient un actif immatériel primordial. Dans un contexte d’approche client et d’hyper compétitivité, l’entreprise qui réussie à se différencier est celle qui parvient à initier le dialogue avec ses clients jusqu’à atteindre un niveau d’engagement et d’échange qui soit aussi qualitatif que fréquent. La structure traditionnelle de l’entreprise bascule alors vers un nouveau rôle s’apparentant à un « stock de connaissances », dans lequel l’individu occupe la place centrale. Il gère ce stock et lui donne vie en l’utilisant et en le contextualisant. C’est un positionnement tout à fait nouveau de l’organisation qui détenait initialement un rôle de contrôle et d’encadrement. L’entreprise est à présent le socle de la donnée – devenue elle même un atout concurrentiel - et il représente également un patrimoine de représentations symboliques censé cristalliser les modèles mentaux et expertises des acteurs. L’organisation des structures et le recrutement de talents sachant intégrer ce nouveau rôle de gestion d’information deviennent donc des enjeux stratégiques.

De fait, pour capitaliser les données et créer de la connaissance, la priorité est de réorganiser les manières de travailler et de former les employés à la nouvelle ère digitale. Pour les anciennes générations, le travail consiste en partie à sensibiliser les équipes sur l’aspect fonctionnel que peuvent avoir ces outils, les former sur leurs utilisations dans différents environnements professionnels et les accompagner dans leur capacité d’adaptation que nécessite les évolutions rapides et incessantes du monde numérique. Pour les générations X et Y, le travail est moins dans la formation d’utilisation d’outils digitaux – finalement assez naturelle pour eux – que dans la formation de la l’utilisation performante de ces outils. Le challenge est de réussir à manager ces individus hyper-connectés pour limiter leur ajournement et leur perte de productivité, liés à leur hyper connexion. La deuxième étape de ce challenge managérial réside dans la mise en place des processus internes ou d’éléments informels de motivation des employés pour réintégrer les connaissances et l’information stratégique circulant au sein des réseaux sociaux, à l’intérieur de l’entreprise. Cet environnement requiert une connaissance du fonctionnement des nouvelles technologies et de fait, une gestion performative de l’individu connecté qui est totalement différente de l’employé des années 90 qui n’était pas en réseau. Aussi, cette nouvelle approche de l’organisation nécessite de réorienter le recrutement.

Au delà des profils déterminés en fonction des postes, l’objectif est de recruter des « talents digitaux », dont les capacités s’orientent vers l’autonomie, la flexibilité d’adaptation et la rapidité d’apprentissage. Peu importe leurs postes, les employés sont aujourd’hui amenés à travailler régulièrement avec des outils digitaux, qui sont voués à évoluer et changer régulièrement. Par conséquent, les aptitudes d’adaptation et de flexibilité deviennent incontournables : les entreprises se doivent de rechercher des talents capables d’intégrer au plus vite l’usage d’un nouvel outil et de contrôler leur rythme de travail pour ne pas laisser place aux utilisations dérivées de l’outil. Ils doivent aussi exceller dans l’apprentissage autonome et informel car sans ceci, la synergie des données et la création des connaissances ne peut pas opérer. De même, ce sont les aptitudes d’originalités qui sont recherchées ; l’évolution intense des technologies ne présente pas de manière systématique des « best practices » d’usage, c’est pourquoi la singularité et l’originalité dans les pratiques de travail deviennent des capacités précieuses. C’est par l’intégration de tels talents dans les équipes que le rythme de croissance et de transformation digitale des équipes peut être optimisé. Ils participent à l’acculturation des équipes en étant force de proposition pour optimiser les opportunités d’un environnement connecté en faisant face à la concurrence. Finalement, l’entreprise s’apparente à une « communauté sociale spécialisée dans le transfert rapide et efficace du savoir[5] » et c’est cette spécialité qui lui donne un avantage concurrentiel dans le paysage compétitif de son secteur[6].

2 La logique informationnelle sur les réseaux

2.1 Etat des lieux

Le poids de la société en réseau

Nous avons parlé de NTICs de manière générale, mais nous n’avons pas mentionné de technologies spécifiques. Or, les aspects d’immédiateté, d’innovation, de changement de la nature des relations et de surabondance d’information sont particulièrement visibles et tangibles dans une technologie singulière : les réseaux sociaux numériques. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait, ce terme n’a rien de « moderne » ou plutôt « d’hypermoderne » puisque le concept de réseau social apparaît plus tôt. C’est l’anthropologue John A. Barnes qui inaugura la première utilisation de ce terme en 1954. Somme toute, l’analyse des réseaux au sens général du terme n’a connu son développement que dans les années 1960. Mais ce terme est devenu au fil du temps un concept essentiel de notre société, dont la non-compréhension peut avoir l’effet d’une marginalisation conséquente. Les chiffres parlent d’eux mêmes : sur les 3,7 milliards d’internautes à travers le monde, c’est à présent 2,2 milliards de personnes qui sont aujourd’hui actifs sur les réseaux sociaux dont 2 milliards actifs sur mobile. Ces chiffres représentent 59% des internautes et 29% de la population mondiale. Un réseau social tel que Facebook est utilisé aujourd’hui par 42% des Français soit près de 30 millions de personnes (et plus d’un actif sur deux) alors que le taux de pénétration d’internet par utilisateur atteint 40% à l’échelle mondiale au dernier semestre 2014. Il atteint 81% en Amérique du Nord, 86% au Canada, 80% aux USA, 78% en Europe de l’Ouest et précisément 83% en France[7].

Les implications de la logique « penser réseau »

Mais quelle est l’importance d’un tel développement dans notre société ? La définition primaire éclaire souvent sur le rôle et l’ambition d’un concept. Prenons donc la définition que nous donne le Larousse : le réseau est « un entrelacement de fils, de lignes, etc. Ensemble de voies, de canalisations, de conducteurs, reliés les uns aux autres (...) Ensemble d‘ordinateurs connectés entre eux et reliés à des terminaux. (...) Ensemble de personnes, d‘organismes, d‘établissements, (...) qui concourent au même but, qui sont en relation pour agir ensemble».

Cette définition relate l’idée de connexion et de lien qui constitue un réseau. Une connexion vous permet d’atteindre 10, 15, 100 autres connexions. Ces mêmes connexions sont potentiellement des connexions auxquelles vous n’aurez pas pu être connecté sans ce connecteur. Elles constituent donc une ressource de valeur car le partage d’information s’opère au sein même d’un réseau. La capacité des individus à gérer leur réseau pour optimiser ce flux d’information devient alors essentielle. L’idée est de développer des aptitudes pour donner vie à la richesse de ses liens sociaux et de le transformer en valeur ajoutée singulière, dans un environnement concurrentiel. Cette logique implique d’envisager les réseaux sociaux numériques comme une innovation sociale permettant une thésaurisation des interactions.

En outre, si l’on s’en tient à la théorie des trous structuraux de Burt[8], les personnes d’un même cercle social ont tendances à partager des informations similaires. La manière dont nous sommes connectés influe les informations que l’on rencontre et typiquement, une mise en relation avec une personne d’un autre cercle augmente les probabilités de recevoir de l’information diversifiée. Le véritable talent est donc celui qui thésaurise ses relations en réussissant à se connecter avec des personnes stratégiques tout en entretenant ses relations actuelles. L’auteur Burt spécifie également que « ce n’est pas la seule taille, mais aussi la diversité qui influe sur la configuration du réseau ». C’est l’hétérogénéité d’un réseau qui facilitera la diffusion et vice versa, le contenu partagé sur le réseau alimentera la qualité et la valeur du réseau car ils sont le fruit d’effort commun.

La plateforme Wikipédia en est un bon exemple illustratif : auriez-vous pensé, il y a 20 ans de cela, que des milliers de chercheurs professionnels et amateurs du monde entier contribueraient de manière volontaire et non rémunérée sur une multitude de disciplines comme sur la plateforme Wikipedia ? Ce cas se multiplie actuellement à vitesse grand V et témoigne de véritables opportunités pour les entreprises. Il faut à présent pensez le monde comme une toile ! Plus cette toile est dense, plus elle peut vous emmener loin, c’est à dire créer des opportunités de business non imaginées dans une sphère traditionnelle. Parallèlement, la densité de la toile témoigne d’une richesse d’information à votre disposition qu’il convient d’exploiter à travers des aptitudes de mise en relation, d’échanges, et de communication sur une toile virtuelle.

Une capacité de diffusion sans précédent

Car à partir du moment ou une entreprise réussit à créer une force de travail avec des aptitudes de gestion de leur réseau, les opportunités pour l’entreprise sont d’autant plus multiples car elle bénéficie de la richesse des réseaux de chacun des employés. Qui plus est, l’aspect viral des réseaux sociaux incombe une force de diffusion sans précédent par rapport à toutes les nouvelles technologies. Contrairement à l’ancienne ère où le temps de diffusion d’un message écrit entre deux individus dépendait de la distance géographique séparant les deux interlocuteurs, ces nouvelles technologies permettent une instantanéité telle que la vitesse de propagation de l’information atteint une vitesse encore jamais inégalée auparavant. Chaque personne travaillant dans l’entreprise devient un outil de communication massif pour l’entreprise, en actionnant simplement 3 étapes : être inscrit sur le réseau, construire son réseau en y rajoutant des membres puis un simple clic sur un des contenu du fil d’actualité en activant le bouton « partage ». Qui plus est, les réseaux sociaux cherchent aujourd’hui à capitaliser cette diffusion « facile » d’information au travers de développement de fonctionnalités, notamment en assistant les populations pendant des évènements majeurs. Ainsi, Facebook a déployé la fonctionnalité « Safety Check » pendant la catastrophe naturelle du Népal ou plus récemment pendant les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. En diffusant des statuts pré-écrits, le Géant du social a permis de diffuser de l’information sur la sécurité immédiate de milliers d’utilisateurs Facebook. Ces capacités de diffusion peuvent se justifier de plusieurs manières: tout d’abord, ces outils engagent une majorité de personnes de manière continue : un individu reste en moyenne connecté 4,8 heures par jour via un ordinateur et 2,1 heures via un mobile[9]. La communication est donc plus facile et la diffusion plus rapide. Par ailleurs, elles permettent de franchir les cercles d’amis et les frontières géographiques à un rythme exceptionnel. La vitesse de diffusion est tellement puissante que les conversations en ligne en viennent même à dépasser la sphère web pour arriver dans les conversations face à face. C’est ce va et vient d’information entre la sphère réelle et virtuelle qui contribue à la puissance de diffusion de l’information en ligne.


L’ampleur de diffusion en image : cas pratique


Mais en pratique, comment ce pouvoir de diffusion se concrétise ? Regardons l’exemple de la campagne Nokia.

· Nokia promut le N8 sur twitter

A l’occasion du lancement du Nokia N8 en Argentine, la marque a tenté d’élargir sa base clientèle en utilisant le pouvoir de viralité des réseaux sociaux, et ce ne fût pas sans succès. Afin de rassembler les internautes autour de la marque, Nokia a créé le jeu « The 8N8 » sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le but était simple et assez commun : identifier le plus rapidement possible les photos de 8 célébrités étant actives sur un des deux réseaux sociaux en question. Les questions posées étaient ouvertes afin d’augmenter le taux d’engagement du jeu, suite à quoi la célébrité en question pouvait décider de suivre l’internaute. Finalement une manière comme une autre de rentrer en contact avec la communauté en leur demandant d’interagir indirectement avec la marque ! Le contenu du jeu permettait de rassembler un large panel de consommateurs en ciblant la population susceptible d’être intéressée par ce nouveau téléphone. A coté de ça, le nom du jeu permettait aux internautes de prendre connaissance de la sortie du nouvel appareil, en marquant les esprits par l’identité de marque. Au final, c’est près de 300 000 internautes qui ont participé à l’opération, ce qui a permis à la marque d’augmenter sa base de fans sur Twitter de 128% et le nombre de fans sur Facebook de 183%. Une telle campagne aurait été beaucoup plus lourde de moyen sans le pouvoir de diffusion des réseaux sociaux. C’est en particulier la fonctionnalité de « hashtag » qui a permis d’atteindre les internautes et de faire ressortir la campagne sur internet. La marque a par la suite indiqué que ses ventes avant progressé de 270% pendant la campagne sur le territoire de la campagne.

De manière générale, à travers l’utilisation des médias sociaux, les marques bénéficient de la puissance du réseau pour diffuser à grande ampleur leur campagne produit. Ce sont les followers, puis amis des followers, puis amis d’amis qui ont permis d’atteindre les objectifs de la marque par le repartage de contenu. Par ailleurs, ce cas pratique souligne également que le contenu (tant dans sa nature que sans sa forme) est indéniablement la brique essentielle de toute communication sur les plateformes web. Il est le moyen privilégié pour créer et entretenir les relations dans un monde connecté et au même titre que le profil, le réseau et l’activité, il fait partie intégrante des fonctionnalités phares d’un réseau social. Sans le contenu, la plateforme média ne vit plus ! Somme toute, le contenu permet à la marque de se crédibiliser sur ses sujets d’expertise tout en permettant aux membres de son réseau de se forger une idée plus précise de leur identité. C’est une parole en ligne qui, à la différence du réel, a besoin d’être contextualisée et d’autant plus pertinente pour pallier aux atouts liés à la gestuelle (eye contact, paroles, son de la voix) qui ne sont plus à notre disposition. Finalement, cette capacité à utiliser l’information et à repartager un contenu contextualisé est devenue une compétence essentielle, au risque d’être mis à l’écart du marché. Ce choix stratégique est communément appelé la technique de curation.

3 La curation comme élément stratégique de l’organisation moderne

3.1 Un terme traditionnel remis au goût du jour

L’origine de la curation

La curation de contenu est utilisée à tort et a travers dans la sphère du numérique aujourd’hui : content is king, curation content, le pouvoir de la curation… Mais à l’origine, le mot « curate » est un mot dérivé du terme latin « curare » faisant référence à l’expression anglophone « to care for », qui signifie un remède à un symptôme. De manière métaphorique, nous pouvons comprendre l’utilité de la pratique de curation comme un remède à la surabondance d’information à laquelle la société fait face actuellement. Et si l’on remonte au temps romains, le « curatore » existe déjà ! Les curatores étaient des bureaucrates recevant les directives de reconstruire l’infrastructure de l’Empire, notamment les aqueducs. Le curateur apportait ordre au sens physique du terme. Puis entre le 16ème et 19ème siècle, on ajoute à ce terme un élément spirituel : on parle alors de « curé » au sens d’organisateur spirituel : sa mission est de transformer la complexité en clarté spirituel. On le décrit d’ailleurs aujourd’hui comme le précurseur de la psychothérapie moderne. Puis enfin, c’est au 20ème siècle dans le domaine de l’art que la curation connait son apogée. A cette époque, ce terme fait référence à l’affichage et l’exposition des œuvres d’arts dans les musées. Le rôle du curateur est de choisir les œuvres et de la valoriser, à travers une structuration et une mise en contexte. Ce terme à donc traverser les siècles pour atteindre le 21ème siècle où son rôle, similairement aux ères précédentes, est d’apporter ordre et clarté dans une ère d’abondance.

Mais de manière générale, le terme de curation désigne d’avantage une pratique qu’un concept, dans le sens où son utilisation est directement liée à une logique d’action reposant sur des capacités de recherche et de partage. Officiellement, c’est un terme qui reste relativement nouveau puisqu’il est arrivé aux Etats Unis en 2009 dans la communauté de blogueurs… Mais si l’on s’en tient au mécanisme de la curation, la premières pratique fut certainement la création du journal « Reader’s digest »[10]. En effet, ce magazine avait été imaginé par le couple Wallace en 1922, qui souhaitaient tout deux développer un magazine rassemblant plusieurs articles provenant de magazines populaires différents.

Les rôles du curateur

Le rôle du curateur a donc évolué en conséquence. Leur fonction est définit dans la littérature comme des responsables du management de magasin de données. En d’autres termes, ce sont des professionnelles de la « donnée », dont le rôle est de gérer cette dernière tout en y ajoutant de la valeur à travers le partage et la préservation, nécessaire pour un usage ultérieur[11]. N’est-il pas logique que dans un contexte d’infobésité et de surabondance de data, des professionnels de la sorte émergent ?

Leurs tâches quotidiennes consistent à publier régulièrement du contenu afin d’optimiser leur actualité et d’améliorer leur contextualisation pour faciliter leur compréhension. Ils passent d’une étape de recherche qui s’apparente à de la veille, à une étape de préservation de la donnée puis d’éditorialisation. Cette dernière étape représente l’essence même de la curation : capitaliser une donnée en la contextualisant à travers un ajout de contenu. Ces travaux de rédaction les mènent à produire des quantités de bribes d’idées et d’opinions – notamment au travers des commentaires sociaux. A tout à chacun, les curateurs basculent donc facilement dans le rôle de créateur de contenu. Aussi, une de leur mission est de faciliter le parcours utilisateur à l’intérieur de différentes thématiques. L’objectif reste identique: faciliter la consommation de contenu et limiter les incompréhensions. Pour ce faire, les fonctionnalités de « tag » sont souvent utilisées. Certains vont même jusqu’à faire un travail de synthèse à travers une note d’article où intégrer une indication du temps de lecture pour éclairer les lecteurs sur le temps requis pour finir l’article.

De manière plus générale, ce rôle de curateur nécessite des aptitudes d’organisation tant dans les phases de recherche que de partage d’information. Si le curateur n’est pas organisé dans les différentes étapes de cette pratique, ce dernier risque de perdre toute cohérence dans sa manière de trouver l’information sur un thème précis et dans la manière dont il repartage l’information : elle sera déstructurée et mal valorisée pour l’internaute. Dans ce cas là, sa mission « d’apporter ordre et clarté » n’est pas remplie et il risque de perdre l’intérêt de l’internaute. Différemment, la phase d’éditorialisation requiert des capacités de synthèse car le curateur doit mettre en avant l’information essentielle, tout en contextualisant le sujet sans faire de raccourcies.

Les modèles de curation

Mais bien que l’essence du rôle de curateur reste globalement identique indépendamment du secteur d’activité, les modèles de curation peuvent varier et les aptitudes nécessaires varient en conséquence. L’auteur Dreiss[12] en souligne 5 principaux.

Le premier modèle fait référence à l’agrégation. Il consiste à regrouper en un même endroit des sources pertinentes. Ici, la notion d’éditorialisation n’est pas prise en compte, c’est simplement la pratique de recherche d’information autour d’un même thème qui est impliqué dans ce terme. C’est précisément en donnant à l’utilisateur une vision globale de ce qui a été publié sur un sujet que le curateur apporte une valeur ajoutée sur un sujet. L’accent est mis sur les capacités d’organisation du curateur dans la recherche de contenu : le tout est d’organiser les contenus consultés et d’en ressortir le meilleur résumé. Un exemple illustratif de ce modèle de curation est Netvibes, un outil en ligne efficace pour les professionnels qui permet de suivre des centaines de sources d'informations en simultanée à travers l’utilisation d’un dashboard. L’intérêt d’un tel outil est d’associer un dashboard à une thématique, pour permettre à l’internaute d’accéder à une multitude de contenus autour d’un même sujet sur une unique plateforme.

Le second modèle est celui de la distillation. Ici, l’objectif est de mettre en relief l’information essentielle de manière simplifiée, afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre. Ce modèle est opéré dans une approche de gain de temps pour l’utilisateur. La règle d’or : la simplicité prévaut sur l’exhaustivité. Cette technique n’est pas des plus faciles car elle laisse place à de multiples raccourcis dans le traitement de la donnée et de l’information, ce qui peut engendrer des incompréhensions ou des malentendus. Le curateur doit faire appel à ses capacités de synthèse et ses aptitudes rédactionnelles.

L’élévation est un modèle bien différent car il fait appel à d’autres compétences : l’éditorialisation est toujours primordiale, mais ce modèle de curation nécessite des capacités d’analyse ainsi qu’une expertise. Ce modèle de curation consiste à identifier les signes faibles à partir de l’ensemble des éléments présents sur le web. Le but final est ainsi d’en ressortir des nouvelles idées, qui sont parfois même prospectives. Ce modèle transforme le curateur en « publisher », dont le rôle s’apparente à celui d’un journaliste. Il transforme ses bribes d’idées en un contenu auto suffisant, le valorise en donnant son point de vue, le contextualise en synthétisant les éléments phares pour comprendre ses dires – le sujet en lui même étant simplifié par une agrégation de références autour d’un même thème. Le journal en ligne « Huffingtonpost » est un exemple concret de mise en pratique de ce modèle.

Barghava fait également référence au « mash-up » qui trouve son origine dans le domaine de la musique. Ce sont les disc-jockeys qui utilisent ce terme pour mixer leur musique. Dans notre contexte, ce modèle fait référence à un travail de mélange des contenus venant de différences sources. A la différence de l’agrégation qui rassemble différents contenus sur une même plateforme, celle ci crée un nouveau contenu à partir de plusieurs contenus. L’objectif est d’organiser les contenus de manière logique tout en juxtaposant différents points de vue. Le résultat final crée une synthèse sur une thématique précise.. La plateforme Storify s’est développé à l’image de ce modèle : en se connectant sur la plateforme, l’internaute peut raconter une histoire de manière chronologique en puisant le contenu dans d’autres plateformes.

Enfin, le dernier modèle de curation est celui de la chronologie : mettre en relief l’évolution du contenu sur une thématique spécifique. C’est typiquement l’essence du blog. Ici encore, un aspect prospectif peut y être intégré.

Pour résumé, l’intérêt de la curation, au delà d’une pratique de veille, est de pouvoir enrichir du contenu avec un autre point de vue. La pratique de curation modifie la lecture de la source originale par l’ajout de données supplémentaires. Nous passons finalement de ce qu’on nomme le web sémantique - qui désigne une évolution du web et des agents logiciels pour permettre un accès plus facile aux données - à un web de données dans lequel la publication de données structurées est appréciée et favorisée au travers de différentes initiatives. Alors que les premières années du web privilégiaient l’accès à la donnée et sa possible réutilisation, le web d’aujourd’hui évolue vers le prima de l’organisation dans un contexte de surabondance de données qui in fine, perds l’utilisateur dans sa recherche de contenu. L’accès devenant de plus en plus banalisée, c’est la structuration de données qui prévaut.

3.2 Les enjeux de la curation et son intérêt

L’entretien de la relation virtuelle

Plus que des simples plateformes dans lesquelles nos personnalités sont reflétées au travers des différentes fonctionnalités disponibles sur les profils, les médias sociaux constituent aujourd’hui de vrai hub d’information. Ils portent d’ailleurs bien leur noms : ce sont devenus de véritable médias - soit un moyen de diffusion massive de l’information – dont la particularité réside dans l’ajout de valeur par les membres. Par conséquent, le véritable pouvoir n’est plus dans la technologie en elle-même mais dans le contenu, qui est lui même créé et valorisé par les membres du réseau. C’est finalement grâce au contenu que les gens vont entretenir et tisser une relation. Ils vont partager, « liker », commenter autour de sujets communs et créeront des affinités grâce au contexte donnée. Car si la relation en ligne n’était qu’une simple relation virtuelle au travers de messagerie privée, ne serait-elle pas pauvre par rapport à la richesse de la rencontre humaine ? La particularité des plateformes de réseaux sociaux est de pouvoir collaborer autour de différents contenus. L’information n’est plus statique mais collaborative, et en devient d’autant plus riche. L’information est contextualisée par l’accroche, puis améliorée par les likes, les commentaires et les repartages dans lesquels d’autres accroches peuvent être introduites. Somme toute, c’est une information en puissance.

En définitive, l’essence même du réseau repose sur le contenu. La plateforme technologique ne se développe pas sans l’adhésion des membres à celle ci, et la dynamique de la plateforme ne perdure pas sans le partage de contenu. C’est à travers cette curation d’information que les plateformes vont perdurer dans le temps et se valoriser. Cette approche est également vraie pour les marques, qui ne connaissent pas directement leur fans : c’est par le choix du contenu et du modèle de curation qu’ils vont attirer les consommateurs et entretenir le lien avec eux.

C’est un véritable enjeu pour les entreprises. La difficulté du contenu va alors résider en trois points : choisir le bon contenu pouvant servir de référence à notre client tout en étant une valeur ajoutée, le partager de manière à ne pas être intrusif et à le contextualiser efficacement pour l’inciter à ouvrir le contenu partager, puis préserver le contenu afin de garder en fil rouge l’historique des échanges avec vos clients afin d’assurer une cohérence dans votre relation. Nous retrouvons ici les 3 étapes principales de la pratique de curation : recherche, partage, et préservation de la source informationnelle.

La gestion de l’infobésité et la démarcation

Aussi, la pratique de curation s’avère être un véritable remède pour structurer l’information en ligne et donner sens à tout ce flux d’information incessant. Sur la toile, c’est près de 8 millions de contenu qui sont créés par minute. Comment trouver l’information la plus pertinente par rapport à mes besoins, tant dans son format que dans son contenu ? Comment atteindre une information faisant référence à mes référentiels pour faciliter sa compréhension ? La pratique de curation de contenu pallie à cette infobésité. Elle synthétise l’information sous différents modèles et de fait s’adapte à différents internautes. Elle est une manière de faire ressortir les informations et d’en souligner leur pertinence, tout en bénéficiant de l’aspect collaboratif de ces plateformes. Le contenu pertinent engage les communauté et participe à l’amélioration de la crédibilité de la marque et optimisant également le référencement naturel (qui dit structuration de donnée dit meilleure SEO !)Au final, cette curation va être un moyen pour l’entreprise de se démarquer et d’affirmer son expertise au travers de la qualité de la curation.

Prenons en exemple une best practice original sur la curation.


Cas pratique : AMERICAN EAGLES DRIVE TO STORE

American Eagles est un cas de curation de contenu un peu différent. L’entreprise de retail a fait appel à une agence marketing spécialisée dans la musique pour augmenter la notoriété de la marque. Filter part d’un constant simple : la musique est un point de contact universel, qui passe au delà de toutes les frontières. C’est un langage commun auquel chacun peut se référer, et elle a « le pouvoir d’inspirer, unifier, et de communiquer lorsque les mots ne suffisent pas ». Pour répondre à la demande d’American Eagles, l’agence marketing a fait appel aux collèges et aux radios à la mode pour curer des playlists sur mesure pour la marque, constitués des meilleurs programmes de musique. Résultats ? La vision de la marque a changé. Les fans associent American Eagles Outfitters à un influenceur dans les goûts musicaux et la clientèle est amenée à se rendre dans les magasins pour écouter les playlists. L’entreprise a mise en œuvre la technique de curation pour capter l’attention du client en mobilité et l’attirer dans les magasins : un drive to store façon curation ! Cette action a mérité à la marque une adhésion loyale des clients qui suivent de près les sorties de la marque ainsi que les téléchargements exclusifs.

3.3 La smart curation ou l’association de la technologie avec l’humain

La nécessité de l’intervention humaine

Alors que la technologie permettait jusqu’à présent de remplacer une majorité des tâches humaines, la surabondance actuelle d’information réappelle l’intervention humaine, et ceci pour deux raisons majeures.

La première est que l’algorithme ne suffit plus à attirer l’attention. Certes, les contenus sont ciblés mais cette caractéristique est devenue commune et de rigueur pour l’internaute. Il perd l’habitude de recevoir du contenu non approprié et à l’inverse, devient débordé d’information liée à tous ses centres d’intérêts. C’est seulement par la mise en contexte et la valorisation du contenu que l’information pertinente attire le client au milieu de la masse d’information. Cette nouvelle caractéristique de l’information en ligne appelle à de nouvelles aptitudes pour les forces de travail. Plus que jamais, les capacités de synthèse et de communication triomphent. Combiné à de la pédagogie et de l’empathie, ces nouveaux atouts assurent le maintien de la relation virtuelle et une valeur ajoutée dans la diffusion de l’information.

Par ailleurs, même les données structurées deviennent trop importantes pour éviter que l’internaute se perde. Nous arrivons donc dans une ère ou l’information nécessite d’être deux fois plus structurée pour retrier l’information. C’est un système prolifique qui se démultiplie à l’infini. Plus la donnée abonde, plus elle nécessite d’être structurée pour y avoir accès. De fait, soulever ce challenge appelle à de nouvelles aptitudes liées à l’agencement, l’organisation et la structuration. Bien qu’hétérogène, ces multiples talents requis sont généralement rassemblés dans le profil de curateur : il associe ses capacités empathiques et sociales pour comprendre l’audience et leurs intérêts, avec d’autres aptitudes littératures et rédactionnelles pour éditorialiser l’information pertinente en fonction de leurs besoins.

La technique de la smart curation

Nous retrouvons ces deux aspects dans ce qu’on appelle la smart curation. Comme l’explique l’auteur Frédéric Martel, la smart curation est une combinaison d’un modèle algorithmique avec un modèle de curation. De son côté, l’algorithme permet d’identifier les tendances web et de les associer à des groupes d’internautes pour continuer de les cibler. Par ailleurs, l’humain intervient pour ajouter son expertise sur le contenu en créant une réelle valeur ajoutée : il organise l’information pour affiner son sens de la pédagogie et faire ressortir le cœur de l’information ! La smart curation est finalement une forme d’éditorialisation intelligente qui suit tout le processus de curation en intégrant l’intelligence humaine pour améliorer sa qualité. Cette technique bénéficie du pouvoir de la technologie en y associant le travail de l’homme.

C’est un double filtre : algorithmique et humain. On a donc un mélange de«smart» (l’algorithme) et de «curation» (l’appréciation singulière d’une personne par son «like» ou son commentaire) dans laquelle la «peer recommendation» est décuplée par la puissance mathématique. Qui plus est, l’intérêt de la smart curation est qu’elle s’inscrive dans les conversations des internautes. De fait, elle bénéficie du caractère social d’internet. Elle est l’ouverture à une discussion qui a vocation à solidifier l’information de base, diffusée à partir de la connaissance des internautes.


Conclusion : une aptitude sociale généralisée et une capacité différenciante pour les entreprises

C’est finalement la naissance d’une nouvelle aptitude qu’a créée l’environnement informationnel d’internet. Certes, les curateurs en ont fait leur rôle et leur expertise ; mais dans l’océan actuelle d’information, toutes les formes de communication et d’entretien du lien virtuel passe à présent par le contenu, qui doit être qualitatif et pertinent face a une cible avertie. Dans ce sens, la pratique de curation s’affirme dans notre société connectée comme une capacité requise généralisée : elle permet d’apprendre à recueillir l’information sur le web, de naviguer dans des milliers de contenu afin de capitaliser les informations essentielles et de lui donner du sens.

Au niveau macro-économique des entreprises, la qualité de la curation devient un élément différenciant alors que l’organisation est finalement appréhendée comme un véritable marché interne du savoir. Les acheteurs sont les clients, les vendeurs sont les entreprises et au milieu se trouvent parfois des agents de change ou brokers[13] L’entreprise susceptible de donner du sens à l’information pour son client développera une capacité différenciante et se développera de manière compétitive sur le marché.




















[1] Castells, M., & Delamare, P. (1998). La société en réseaux (Vol. 1). Fayard Paris. [2] Polanyi, M. (1966). The Tacit Dimension [3] Weick, K. E. (1995). Sensemaking in organizations (Vol. 3). Sage [4] Dudezert, A. (2003). La valeur des connaissances en entreprise: recherche sur la conception de méthodes opératoires d’évaluation des connaissances en organisation. Ecole Cent

rale Paris [5] Kogut, B., & Zander, U. (1992). Knowledge of the firm, combinative capabilities, and the replication of technology. Organization Science, 3(3), 383–397 [6] Porter, M. E. (1980). Competitive strategy: Techniques for analyzing industry and competitors. Competitive Strategy: Techniques for Analyzing Industry and Competitors. [7] www.blogdumoderateur.com [8] Burt, R. S. (1995). Le capital social, les trous structuraux et l'entrepreneur. Revue française de sociologie, 599-628. [9] Etude blog du modérateur, 2015 [10] Tran, P. (2011). Le Guide de la curation (1) –Les concepts. Blog post published On March, 14, 2011. [11] Stone, A. (2014). Public Curation as Civic Engagement: Naming Success in Participatory Curatorial Models (Doctoral dissertation, University of Washington). [12] J. Dreiss, (2015). L’art de faire des recherches et de partager l’information. Pratiques et techniques de veille et de curation sur Internet. Collection Entreprendre. [13] Cohen, D. (1998). Toward a knowledge context: Report on the first annual UC Berkeley forum on knowledge and the firm. California Management Review, 40(3), 22–39.

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